Redéfinir le viol :”l’épineuse” question du “consentement”, journal du Barreau de Marseille, juin 2025
Alors que Manuel Giudicelli me pressait avec force et délicatesse d’écrire quelques lignes sur la réécriture en cours de la « définition du viol »1, il m’apparaissait avec évidence qu’il me serait délicat de me montrer à la hauteur de ses attentes : le sujet est incendiaire comme le napalm et le mois de mai troué comme le gruyère.
Me vint alors une idée quelque peu roublarde que notre bien aimé directeur eu l’élégance naturelle d’accueillir favorablement en élevant ma roublardise au nom d’idée « curieuse mais intéressante ».
Je m’explique, chaque midis, sans exception, se tiennent à quelques pas de mon modeste bureau des débats aussi intenses que bruyants. Ma petite équipe, si calme, si sérieuse, si discrète, si policée…s’invective, s’apostrophe, dans un registre oscillant entre débat à la chambre des lords et empoignade au bar PMU du quartier2.
Providentiellement, cela fait 15 jours qu’elle s’écharpe autour de ce sujet sur lequel on me commande d’écrire. C’est donc, à deux titres, une excellente semaine pour me lire. Ce n’est pas moi que vous lirez, mais deux jeunes gens, une femme et un homme, aux portes de notre profession, dans le débat intime et incandescent d’une génération.
Pour Nina Gasquet, préparant le CRFPA, cette loi représente une avancée capitale dans la lutte contre les violences sexuelles
Mon cher Romain, je vous sens très inquiet à l’idée d’intégrer le consentement dans la définition du viol et des agressions sexuelles au sein du Code pénal. Laissez-moi plutôt vous convaincre de l’intérêt de ce changement.
Consacrer le consentement dans le Code pénal : une nécessité
Cette consécration permettrait de renforcer la clarté et la lisibilité de la loi.
Le consentement est déjà au cœur de la caractérisation des infractions sexuelles. Lorsque, pour parvenir à ses fins, l’auteur use de violence, contrainte, menace ou surprise, il ressort de l’évidence qu’il a agi en outrepassant l’absence de consentement de la victime. Cela a d’ailleurs conduit la jurisprudence à faire de « l’absence totale de consentement » un élément constitutif de l’infraction3. Pourtant les textes ignorent encore la notion et enferment, de fait, les juges dans des carcans étroits : nul ne peut se prétendre victime d’un viol s’il n’est pas rapporté la preuve que l’auteur a eu recours à l’un de ces adminicules4. Qui plus est, il est attendu de la victime qu’elle ait suffisamment résisté face à son agresseur pour que l’infraction soit consommée. Que faire alors des victimes qui sont dans l’incapacité de résister ? De celles qui sont endormies, droguées, sidérées ? De celles qui cèdent ? Quelle est la place de leur consentement ? Est-il encore possible de nos jours de considérer que céder signifie consentir ? C’est là où le bât blesse : le silence de la loi réduit considérablement la possibilité de retenir l’existence de l’infraction.
Certes, les juges ont su adopter une interprétation extensive de ces éléments de preuve5, permettant ainsi d’englober des situations plus complexes. Cette évolution est louable, sans pour autant être suffisante. Alors que les violences sexuelles représentent un fléau massif dans le pays, elles disparaissent au fil de la chaîne pénale6. Le constat s’impose : règne en France un climat d’impunité7 systémique pour la criminalité sexuelle.
Or, en précisant qu’une agression sexuelle est un acte sexuel « non-consenti » et en délimitant les contours d’une telle notion, les juges disposeraient, au-delà d’une assise légale nécessaire, de nouveaux outils pour caractériser l’infraction, nouveaux outils qui viendraient s’adjoindre à ceux déjà ancrés dans notre droit – la violence, la contrainte, la menace et la surprise.
Changement de paradigme de la loi : une belle avancée sur le terrain
Intégrer le consentement permettrait à la loi pénale de remplir pleinement sa fonction expressive, selon laquelle elle définit les valeurs de la société grâce aux incriminations qu’elle prévoit.
En réprimant les infractions sexuelles, le droit français assure la protection de la liberté sexuelle de chacun. Dès lors, si chacun8 est libre de consentir à des actes sexuels, encore faut-il que ce consentement existe et puisse exister. Sans détourner les projecteurs du comportement du mis en cause, la modification de loi permet de mettre l’accent sur ce qui est le fondement même de ces infractions : l’absence de consentement de la victime de participer à la relation sexuelle. À rebours de l’adage « qui ne dit mot consent », la loi fait passer un nouveau message : « qui ne dit mot ne consent pas ».
Il faut que cela soit entendu : le viol et les agressions sexuelles ne sont pas une affaire de sexualité mais bien de violence et de domination.
Mon cher Romain, vous avez peur d’un mot, je l’entends. Pour ma part, j’ai peur des chiffres. Et il est temps que les choses changent.
Qu’on ne se méprenne pas pour autant : si cette réforme marque une avancée importante en matière de lutte contre les violences sexuelles, elle devra nécessairement s’accompagner de moyens renforcés et d’une véritable éducation sur le sujet.
Pour Romain Audet, préparant également le CRFPA, cette loi constitue une « nouvelle désillusion du progrès »
Ma chère Nina, je suis effectivement prudent et réservé sur cette proposition de loi, et ce n’est pas notre conversation, le temps d’un déjeuner9, qui épuisera l’étendue de mes quelques interrogations.
Consacrer le consentement dans le Code pénal, c’est ouvrir la séduisante boîte de Pandore
Le droit positif n’est pas étranger à cette notion, en ce qu’il comporte déjà l’idée du consentement dans l’infraction sexuelle, sous un angle objectif, par la recherche d’un comportement de violence, contrainte, menace ou surprise de l’auteur, qui s’entend nécessairement de l’absence de consentement de la victime. Dès lors, c’est à la jurisprudence qu’il revient de reconnaître les subtilités propres à cette absence de consentement10.
Cette nouvelle proposition de loi entend ajouter un nouvel alinéa au droit existant, affirmant que « le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ». Si cette notion de consentement semble a priori séduisante pour ses défenseurs, au point de la considérer comme le « nouvel outil » d’une meilleure caractérisation de l’infraction, il suffira d’une simple lecture attentive de cet alinéa pour qu’il soit permis d’en douter. Le premier coup d’œil ne manquera pas d’abord de constater l’habile esquive de ses rédacteurs à ne point définir réellement ce qu’il convient d’entendre par « consentement ».
Que faut-il alors entendre justement par consentement ? Faut-il le comprendre dans son sens grec originaire, comme le fait de se soumettre (Ethelein) ou de choisir (Boulesthai) ? Ou bien plutôt comme la simple évidence de « ce qui se lit dans les yeux et se voit dans les manières » 11, ou comme « l’accord donné par quelqu’un sur quelque chose » 12 ?
A ce premier doute ontologique du consentement s’ajoute un doute juridique. Que penser des caractères ainsi posés du consentement ? Que faut-il comprendre de cette distinction entre un consentement « libre » et « éclairé », comme si la liberté ne supposait pas un discernement, et qu’être éclairé n’était pas précisément la liberté ? Par ailleurs, ce nouvel alinéa rhabille-t-il l’élément moral d’une seconde intention, ajoutant à celle classique que l’auteur ait voulu user de l’un des quatre adminicules, la volonté nouvelle d’agir en corrompant le consentement de la victime ? Une telle notion conduira à complexifier la preuve de l’infraction, questionnera l’attitude de la victime en recherchant si elle n’avait pas livré, dans le contexte environnant l’infraction, une forme de consentement13. Ouvrir la séduisante boîte du consentement, c’est risquer de tout faire sortir, et de faire sortir surtout… n’importe quoi.
Changement de paradigme de la loi : « avancée » n’est pas toujours synonyme de progrès
Cette nouvelle loi entend percevoir l’infraction sexuelle non plus d’abord comme un acte commis par un auteur, mais comme un acte commis sur une victime. Il suffit pour s’en convaincre d’observer la structure même de l’article, autocentrée sur la victime, présente aux quatre alinéas14. Cette hypertrophisation de la figure victimaire n’est pas sans interroger directement les fondements les plus élémentaires et acquis de notre système pénal classique, c’est-à-dire de l’infraction elle-même, entendue comme la recherche de l’acte et du trait d’esprit d’un délinquant15 , et de la place de la victime au procès pénal, qui n’est, faut-il le rappeler, qu’un accessoire de l’action publique16. Il n’est pas sûr que cette instrumentalisation supplémentaire du procès pénal par la victime ne brouille pas davantage la place de l’avocat de la partie civile, dont le centre d’équilibre demeure toujours vacillant entre sa nécessaire retenue à l’action publique et son emprunt risqué des attributs du Ministère public.
Ma chère Nina, je ne crains pas ce mot, je le chéris. Et il se pourrait bien que cette loi, sous l’apparence d’une intention salutaire à la faveur des victimes et de leur consentement, révèle plutôt ce que Raymond Aron qualifiait d’une « nouvelle désillusion du progrès »17.