Les avocats marseillais vent debout contre l’activation des téléphones à distance, La Provence, 13 octobre 2023

Les avocats marseillais vent debout contre l’activation des téléphones à distance, La Provence, 13 octobre 2023

Ils craignent que cela menace notamment le secret professionnel.

"C’est la fin du temps des secrets." En une phrase qui sonne à une nuance de taille comme un titre de Marcel Pagnol, Me Xavier Pizarro, membre de la commission pénale du barreau de Marseille, résume l’amertume des avocats confrontés à une disposition jugée "particulièrement inquiétante" du projet de loi Justice approuvée mercredi à l’Assemblée nationale. "Une pure folie!", s’était déjà étouffé en mai dernier le vice-bâtonnier de Paris, Vincent Nioré, en découvrant cette proposition.

Voulue par le garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, ancien avocat lui-même, cette mesure semble tout droit tiré d’un épisode de Black Mirror. Elle va permettre aux policiers d’activer à distance des téléphones portables pour écouter et filmer des personnes visées dans des en- quêtes de criminalité organisée et de ter- rorisme. Une incrimination large, qui, on l’a vu récemment dans le dossier des dé- gradations de l’usine Lafarge des Bouches-du-Rhône, peut concerner des militants écologistes. L’article a en tout cas été validé par les élus du camp prési- dentiel, de LR et du RN. Minoritaires, LFI et plus généralement la Nupes ont voté contre, en dénonçant, au diapason des critiques d’avocats ou d’ONG, une "intrusion dans la vie privée" et une "dérive autoritaire".

"On nous dit que c’est pour protéger la sécurité des enquêteurs qui prennent des risques en posant des micros. Mais com- bien de policiers ou de gendarmes ont été gronde le bâtonnier de Marseille, Mathieu Jacquier. "C’est une mauvaise solution à un problème mal posé, insiste-t-il. Que va-t-on devoir faire ? Demander à nos clients de déposer leur téléphone à l’entrée des cabinets et leur parler dans une pièce spécifiquement aménagée ne contenant aucun appareil électronique ?" Et de prévenir: "Ce texte permissif ne délimite aucune notion d’appareils connectés, laissant une marge de manœuvre inquiétante et extensible au bon vouloir des enquêteurs."
Entouré de Me Pizzaro et de Me Benjamin Liautaud, le bâtonnier a décidé de lancer une contre-offensive contre ce "texte lacunaire et dangereux". Une motion a été adoptée lors d’un conseil extraordinaire de l’ordre, le 5 octobre dernier. "La seule issue est que le conseil constitutionnel retoque cette mesure qui touche autant les avocats, que les journalistes et d’autres professions concernées par le secret profession- nel", souligne Me Jacquier.

Les cas "les plus graves"

Un début de fronde que le camp présidentiel a essayé de contenir en assurant que la captation serait réservée aux affaires "les plus graves". Ou encore, en mention- nant dans le texte de loi que les avocats, comme les journalistes, les magistrats ou les parlementaires seront "protégés" de ces techniques d’enquête. "On nous dit que ces écoutes ne pourront pas être réalisées dans les cabinets d’avocat. Sauf que les contrôles seront effectués a posteriori. Une fois que la captation a eu lieu. Ainsi, l’exploitation hors procédure de ce qui ne devait pas être enregistré reste possible par les enquêteurs. Et ça va colorer des dossiers...", balaye Me Pizzaro. "De plus, aucune garantie n’est prévue pour nos colla- borateurs des cabinets, et ce, à l’heure où nos habitudes de travail ont changé et que les secrets professionnels sont devenus des secrets partagés", assène-t-il.

Vent debout, on l’aura compris, contre cette possibilité de placer des "mouchards" à distance, le bâtonnier entend bien désormais déplacer le combat sur le terrain de l’opinion : "Nous devons nous tous interroger: que se passerait-il si, demain, cette arme légale tombait entre les mains d’un gouvernement extrême ?"

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“Ne parlez pas trop fort on nous ecoute”, Journal du Barreau de Marseille, Novembre 2023

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“Tirs à l'arme de guerre pendant une évasion à Tarascon”